Pélerinage de Patrick SUCH à HADJOUT

Pélerinage de Patrick SUCH à HADJOUT

 

Marengo…

 

J’y suis né, comme mon Père Adolphe,

et mon Grand-père Arthur. J’y ai grandi de 1947

à 1962, avant d’être déporté comme un million et

demi d’autres personnes, pour des raisons que je

n’admets toujours pas 50 ans après. Une épuration

ethnique pour laquelle on a jusqu’à interdit son nom,

car médias et politiques n’en veulent toujours pas

encore aujourd’hui. Gênant, …assurément, et puis

le mythe vous comprenez, oui le mythe…

Aussi loin que remonte ma mémoire, ou celle des

photos de famille, je revois le modeste garage

« d’Electricité Générale » que mon père exploitait

(ça commence bien…) rue des Hadjoutes. Une fois

marié, une boutique d’électroménager vint

compléter l’entreprise familiale. On a beaucoup dit

et écrit sur l’esprit d’entreprise, la force de travail

et l’abnégation de ces pionniers de la deuxième

génération d’alors, pour lesquels le terme plein

de mansuétude n’existait pas encore. J’en ai été

le témoin tout au long de mon adolescence,

avec l’absence permanente de mon père,

au garage ou sur les chantiers, et ma mère qui

tenait le coup grâce au « maxiton » quotidien,

complaisamment délivré par le pharmacien.

Le village était une grande famille, avec ses clans,

ses amitiés, ses inimitiés, ses personnages hauts

en couleurs, ses cancans, ses anecdotes…bref,

avec tout ce qui constitue la diversité d’une

communauté rurale, jusque dans ses caricatures,

alcooliques et fou du village compris.

En l’occurrence, le « chimboyo » (le dérangé)

c’était Borhoro, un homme des bois, toujours

hirsute, sujet à l’épilepsie, qui ramassait tout

au long de ses journées les papiers qui traînaient

dans les rues. Il bénéficiait d’une relative

bienveillance de la part des adultes, qui

parvenaient parfois à le soustraire aux moqueries

des enfants. Des figures locales, celle que je

redoutais le plus était Mr. Sanchez. Aucun natif

du cru ne peut vous dire ne pas l’avoir connu.

Et pour cause, il était le seul pratiquement à

voir régulièrement toutes les paires de fesses

du village. Mince d’allure, il sillonnait les rues

avec une mallette en bois verni. Elle renfermait

un arsenal de seringues en verre dépoli, armées

d’aiguilles grosses comme des crayons. C’est en

tout cas la représentation que j’en avais. Avec un

léger accent espagnol, il s’inquiétait en se lavant

les mains de l’état de sa victime, avant d’ouvrir

d’un coup sec la boîte de Pandore : là, dans un

cliquetis de boîtes en aluminium, il sélectionnait

le calibre de ses instruments. La maîtresse de

maison, sur ses prescriptions, avait mis de l’eau

à bouillir, « additionnée de vinaigre », pour

stériliser le matériel. A l’aide d’une pince à

hémostase, il retirait les seringues et les aiguilles

réputées aseptisées. La façon dont il faisait jouer

le piston dans la seringue pour en chasser l’eau

résiduelle, avait quelque chose de menaçant,

comme le petit jet qui sortait du bout de l’aiguille

juste avant qu’il n’accomplisse son forfait…

Et puis il y avait également le Docteur Vogue.

Tout droit sorti du théâtre de Molière, avec ses

moustaches de gaulois et ses prescriptions.

Dont celle qui recommandait l’application

des « ventouses ». Un véritable spectacle

pyrotechnique pour nous les enfants, lorsque

nous étions autorisés à y assister sagement

alignés au fond de la chambre. Toute bonne

famille recélait en effet dans une boîte métallique

de biscuit l’Alsacienne, une collection de ventouses,

sorte de pot de yaourt en verre assez épais,

censées prévenir une fois mises en oeuvre les

congestions et les influenzas. Le patient allongé

sur le ventre, le dos à l’air, attendait résigné

l’application d’une douzaine de ventouses.

Pour cela, il fallait que l’officiant (parfois Mr.

Sanchez) ait à sa disposition un fil de fer torsadé

dans lequel était pris un morceau de coton.

Trempé dans de l’alcool, il devenait un flambeau

virevoltant, qui tournait prestement dans les

ventouses pour en absorber l’air intérieur.

La ventouse était alors rapidement appliquée

sur la peau. Et sous nos yeux incrédules,

émerveillés par la magie, inquiets par l’appétit

dévorant de ces morceaux de verre, la peau

était véritablement happée à l’intérieur.

Les ventouses posées, le spectacle de ces globes

tremblants au gré du patient devenait surréaliste.

Enlevées, elles offraient le tableau d’un dos

agressé par un calamar géant. 

Au chapitre de ces grands principes sanitaires,

il faudrait également citer l’application du

cataplasme rigolo, dit sinapisme, qui réussissait

même à soutirer des plus insensibles à la douleur,  

 gémissements et  grognements. Quant aux

lavements à l’eau tiède savonneuse, le rituel

mériterait un plus ample développement,

avec la cérémonie de l’élévation du pot émaillé,

prolongé de son tuyau en caoutchouc muni d’un

petit robinet.

A Marengo, les habitudes familiales s’adaptaient

aux rythmes des saisons, des récoltes, des fêtes

des uns et des autres, de la scolarité,… Durant les

mois d’été, l’activité se réduisait sensiblement

dans la journée, pour reprendre « à la fraîche »,

une fois l’arroseuse municipale passée. C’était

un camion-citerne muni de rampes latérales,

qui passait immanquablement à 18h00 dans toutes

les rues. On l’entendait d’abord, le moteur en

surrégime. Et puis on la voyait ensuite arriver

au pas, enveloppée d’un nuage d’eau vaporisée

par les puissants jets latéraux. Il fallait anticiper,

ne pas traîner et se mettre rapidement à l’abri

des projections d’eau boueuse. Il se dégageait

une odeur très caractéristique, mélange d’odeurs

de terre mouillée et d’eau évaporée que j’ai

toujours en tête La chaleur était telle que l’effet

était immédiat, bien perceptible et rafraîchissant.

Alors seulement les persiennes s’ouvraient, et

chacun sortait ses chaises sur le trottoir pour

profiter de ce bien-être qui ponctuait les fins de

journées estivales. Les cancans s’échangeaient

jusqu’à la nuit, entre voisins, entre les « assis »

et celles et ceux qui déambulaient bras croisés

dans le dos. On se saluait, on s’interpelait, on

sortait d’autres chaises…

 

 
 

C’est au bout de la rue des Hadjoutes que se

trouvait l’incroyable Fondouk de Marengo.

Il s’agissait d’une enceinte où tous les fellahs,

voyageurs, montagnards du bled et désoeuvrés

se retrouvaient. Un véritable parking à mules,

où grouillaient ânes, chevaux et moutons,

qui selon, se négociaient ou servaient au

transport du ravitaillement. L’activité était fébrile,

d’autant qu’un café maure équipait ce véritable

« saloon » hors normes. On y jouait aux dés,

aux dominos et on y pratiquait la saignée avec

ou sans sangsues. En face de ce lieu de perdition,

se trouvait la boutique du meilleur artisan de

« sfindges » de la région. Ces beignets cuits à

la commande, dont on ne se lassait jamais,

me font encore saliver à leur évocation.

Impassible tel un bouddha, le geste lent, assis

devant sa bassine d’huile bouillante, le Cheih

prélevait du bout des doigts un fragment de pâte

blanche et élastique, qu’il aplatissait par petites

pressions tout en la faisant tourner pour l’arrondir. 

 Il la déposait ensuite dans sa bassinoire,

provoquant une explosion de friture qui dorait

rapidement le beignet à l’érection spectaculaire !

Quel talent. A l’aide d’une écumoire il sortait

prestement les unités flottantes à point, pour les

déposer dans un grand plat. Et comme la maison

avait la grande classe, on vous tendait le beignet

pincé dans un petit carré de papier-journal

(« La Dépêche» ou « L’Echo d’Alger ») prédécoupé,

tiré d’un coup sec du clou où ils étaient empalés.

Enfants, Je me souviens que nous participions

avec mon frère à la fête musulmane du

« Mouloud ». Essentiellement du fait que l’usage

encourageait le recours sans modération à tout

ce qui explosait. Pour l’occasion, la boutique du

« moutchou » se garnissait d’une incroyable

variété de pétards et de  « cailloux explosifs »

que je n’ai plus jamais revu depuis. Il s’agissait

de petits galets enrobés de phosphore. Lorsque

nous les jetions au sol ou sur un mur, ils

pétaradaient à chaque contact en émettant de

courtes flammes. Nous finissions de les user en

les frottant par terre, jusqu’à ce que le galet soit

mis complètement à nu. Le soir, à la nuit tombée,

les enfants déambulaient par groupes, munis de

petites bougies en chantant « …Mouloud ya  

 Mouloud, Aïcha Fatma Zohra,  Fatma Zohra… ».

Un Halloween d’avant la lettre, à la différence

que les bonbons étaient remplacés par de

vigoureuses calbottes pour faire taire et rentrer

la marmaille.

Le village disposait d’un jardin public, en face de  

la Mairie. Il avait un côté jardin Majorelle avec sa  

luxuriante végétation, ses allées cimentées  

parsemées de bancs où il faisait si bon se reposer. 

  Le calme ambiant était agrémenté plus que

troublé, par le chuintement d’un filet d’eau qui

coulait en permanence   dans un bassin garni de

gros poissons rouges.   Des quelques raclées

mémorables administrées   pour certains de mes

exploits, je me souviens de   celle reçue pour avoir

pêché efficacement dans ce   bassin, histoire

d’épater une cousine venue d’Alger.

La régulière prolifération des chats et des

« kelbs», obligeait   la Mairie à faire procéder à la

capture des   animaux errants. Le préposé aux

rafles, employé   municipal plus alcoolisé que zélé,

était surnommé   « Galloufa ». On  le voyait

arpenter les rues à la   recherche de ses victimes,

généralement des   chiens jaunâtres à la queue

craintivement repliée,   échappés du douar voisin

ou partis à la découverte   du monde. Il disposait

d’un genre de manche à   balai à l’extrémité

duquel était fixé un lasso.   Il s’approchait

subrepticement de l’animal souvent   en plein

travail d’inventaire d’une alléchante   poubelle, et

lui passait prestement le mortel collier.   Il

traversait ainsi le village en direction de la  

fourrière, en traînant derrière lui le pauvre animal 

couinant tout ce qu’il savait. Autant dire qu’il ne  

bénéficiait d’aucun capital de sympathie. Il avait  

vite compris cependant quels avantages il pouvait 

tirer de sa fonction, en s’intéressant plutôt aux  

chiens des méméres ! Il planquait des heures  

durant le caniche de la belle maison, attendant  

patiemment qu’il mette une patte sur le domaine  

public. La stratégie découverte et chacun sur ses  

gardes,  il lui suffisait de passer dans les rues

pour recevoir « la pièce » des unes et des autres,

gages   de bienveillances réciproques.  

Les fêtes de Marengo avaient plutôt bonne

réputation dans la Mitidja. On y venait des villages

voisins écouter dans l’enceinte du jardin des fêtes,

sur le kiosque central, l’orchestre à la mode :

« Martial Ayela ». Il coule aujourd’hui des jours

heureux à Nîmes où il réside. Je l’ai rencontré

plusieurs fois, et nous avons évoqué avec beaucoup

d’émotion les chaudes soirées de là-bas, où l’on

découvrait avec ravissement que les parents

étaient amoureux, tout étonnés de les voir danser !

Merci encore une fois Martial pour tous ces petits

bonheurs.  Je laisse à d’autres, le soin d’évoquer

l’incontournable équipe de football de Marengo,

source de passions, de fâcheries, de délires…

j’étais trop jeune, puis trop souvent absent de

Marengo pour en parler vraiment et traduire toute

l’importance de l’O.M dans la vie sociale de la cité.

L’été venu, ceux qui le pouvaient, fuyaient dès

que possible l’implacable canicule en se réfugiant à

Mataresse (Matarès), au Chenoua ou à Tipasa.

Des sitesd’exception, à proximité immédiate,

où beaucoup avaient leurs habitudes ou leurs

cabanons. Pour s’y rendre de Marengo, il fallait

passer par le PontMarquant, endroit de sinistre

réputation où régulièrement se commettaient des

attentats en raison de la configuration des lieux.

Il s’agissait en effet d’un ouvrage étroit enjambant

un ouedtoujours à sec, au fond d’un thalweg que

l’on franchissait en roulant pratiquement au pas.

Je me souviens toujours des grands moments

d’angoisse qui m’étreignaient, lorsque nous nous

étions attardés à Matarès, qu’il fallait

impérativement regagner Marengo, et que la

nuit tombait… A Matarès, les cabanons sur pilotis

étaient à 8m du bord de l’eau. Pas de loi littorale

pour cette zone intacte, sous-urbanisée, où la

nature n’était menacée par aucun danger. Les

grottes du Chenoua, que l’on distinguait de

Matarès, abritaient une espèce de phoques moines

qui alimentaient les légendes locales. Les « vieux »

pêcheurs racontaient que la nuit, au cours des

chaudes soirées d’été, des êtres marins sortaient

de la mer pour aller manger les raisins mûrs des

vignes cultivées à proximité. Enfants, nous étions

effrayés par ces contes, où chacun se plaisait à en

rajouter une couche. Dans la nuit noire, on

apercevait au loin en mer les points lumineux des

lamparos des sardiniers de Bou-Haroun. Ils

devenaient « les yeux de la baleine » qui attendait

pour venir chercher les enfants pas encore au lit !

ça valait tous les marchands de sable, et

généralement cela ne traînait pas.

Jean-Paul Di Maïo, mémoire de la pêche

professionnelle locale, réside aujourd’hui à Sète.

Il est l’héritier d’une famille installée alors à 

Cherchell, réputée pour son savoir-faire. Je le

rencontre souvent, et je suis émerveillé par sa

connaissance de la faune ou des techniques de

pêche propres à la région du Chenoua, comme

le « bâtibat ». Il m’a confirmé la réalité des «

veaux-marins » qui vivaient dans les grottes de la

corniche du Chenoua. Régulièrement lorsqu’ils

devenaient trop nombreux, occasionnant

d’irréparables dégâts dans les filets, son père

organisait une battue aux veaux-marins. Les

femelles avaient dit-il, des mamelles qui

expliquent  l’anthropomorphisme des légendes

bâties autour de leur existence bien réelle, et leurs

gémissements à consonances humaines ne

facilitaient pas leur mise à mort.

En fin de journée, après la baignade de l’après-

midi et le dîner, enfants et adolescents se

rassemblaient plus ou moins par affinités pour

organiser des jeux collectifs. Le plus populaire

consistait à s’asseoir en cercle pour jouer « au

furet ». Les participants entonnaient une sorte de

rengaine « …il court il court le furet, le furet du

bois Mesdames, il court il court le furet le furet du

bois joli… » pendant qu’un participant désigné,

debout, tentait en courant autour et à l’extérieur

du cercle, de se délester discrètement dans le dos

d’un « assis », du béret qu’il portait.

Nous nous endormions sereins, éreintés par une

journée de soleil, de pêche et de baignade, bercés

par le claquement régulier du rouleau qui venait

s’affaler sur la grève.

Entre Matarès et Chenoua-plage se trouvait

l’embouchure de l’Oued Nador, en eau durant 6 ou

7 mois de l’année. Il passait juste avant à Desaix

Commentaires (3)

Pierre BERTRAND le 23/09/2011
bonjour....la meilleure des descriptions de Marengo, où même les odeurs ressurgissent....du vrai Simenon...! Pour me limiter aux SUCH, sache que je suis détenteur...pour les avoir "rapatriés" (en fait expatries avec moi même)...des vieux 78 tours que possédait ton père et dont certains avaient animé les mi-temps des matchs de l'OM (exemple, "le voyage à Cuba" par Jacques Hélian...)T'en souviens-tu, mais de notre temps, la promotion musicale ne se faisait pas par la radio ...que nous appelions la TSF...mais au stade...via les gros haut-parleurs coniques marqués "A. SUCH"...!Et c'est chez toi que j'ai pour la première fois, davantage décrypté que assisté à un programme de télévision, capté par un antenne spectaculairement haute et haubannée...Quant aux photos, retrouver ton père, Mr Farfalle...qui savait jouer d'une certaine ressemblance avec Eddie Constantine...et enfin, ma première prof de cathéchisme, Mlle Georgette....même sans ses cordages habituels sur la tête...que d'émotions....a plus...!


Anonyme le 11/02/2024
Très heureux de lire ce texte je suis né a Marengo en 1942 mon père était Mâcon monsieur pascal rene
Je ai travailler chez Mr Capion j ai quitte Marengo en 1959 mes perents sont enterrés au cimetière de marengo


Anonyme le 11/09/2025
Vive Marengo, ma ville natale. Famille YOUCEF .


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